Laurent Vogel : L’UPJB, le 7 octobre et la guerre actuelle dans la bande de Gaza

Le communiqué publié par l’UPJB le 10 octobre concernant le massacre de civils israéliens par les milices du Hamas et de groupes associés a suscité de nombreuses critiques parmi les membres. Au-delà du manque d’empathie et de l’absence de toute mention du Hamas, ce communiqué soulève des désaccords politiques importants au sein de l’UPJB. Un débat ouvert, franc et respectueux est bienvenu. Pour mener ce débat, je crois qu’il faut partir de la signification du 7 octobre qui apparaît comme un événement clé qui marquera de manière profonde l’évolution du Proche Orient pendant une longue période. 

J’ai éprouvé de nombreuses hésitations en écrivant ce texte. Un peu moins en ce qui concerne son contenu qu’en ce qui concerne le moment où il était écrit, avec l’horreur des bombardements quotidiens qui frappent la population civile de Gaza. La sidération face aux pogromes s’enchaîne à des sentiments aussi bouleversants face à ce qui semble mettre fin pour de longues années à tout espoir de paix dans la justice et dans l’égalité. Après beaucoup d’hésitations, je suis convaincu qu’il reste indispensable de repartir des massacres du 7 octobre. Je suis d’accord avec Annette Wieworka quand elle dit «  Ma seule certitude, c’est que le 7 octobre est un événement réellement historique qui rebat les cartes en Israël, dans la région et dans le monde entier. Ce n’est pas juste une guerre, on est dans autre chose »[1]. Nous ignorons tous les contours précis de cette autre chose mais nous n’avons pas la possibilité de nous soustraire à une intervention politique si modeste fût-elle pour aller à contre-courant de la haine, de la déshumanisation, de l’injustice. La précipitation des événements, avec le carnage qui se poursuit actuellement contre la population civile de Gaza, exige précisément que nous clarifions notre position autour du 7 octobre, que nous balayions devant notre porte, si nous voulons intervenir avec un minimum d’efficacité, de cohérence et de crédibilité. De même qu’aucun crime du Hamas ne peut être justifié par l’occupation, aucun crime contre les populations civiles palestiniennes ne peut être justifié par les pogroms qu’a perpétrés le Hamas. Il faut repartir de l’événement qui a déclenché la séquence actuelle sans se livrer à une sorte de partie de ping-pong stérile où chacun renvoie la faute au dernier crime de l’autre.

En ce qui concerne le contenu, je me rends bien compte qu’il contient des contradictions et surtout énormément d’interrogations. Par exemple, ma connaissance de la société gazaouie est très faible et je ne parviens qu’à esquisser des explications fragiles. Je pense notamment à la tension entre deux projets politiques différents de la part du Hamas : celui de se consolider en tant que mini-Etat islamique à Gaza (avec ce que cela suppose comme tentative de négocier un statu quo avec Israël) ou celui d’abandonner un projet centré sur Gaza pour imposer son hégémonie à toute la société palestinienne sur des bases plus nationalistes que religieuses.

Le 10 octobre, l’UPJB a publié un communiqué concernant l’opération lancée par le Hamas le matin du 7 octobre. L’organisation disposait d’un recul suffisant pour prendre la mesure de l’événement dans sa gravité, dans son caractère exceptionnel, dans les conséquences tragiques qu’il entraînerait pour les populations juive et palestinienne. L’UPJB a ensuite participé à une manifestation convoquée par 16 organisations pour le 11 octobre. L’affiche de cette manifestation indiquait « Guerre à Gaza : Pour un cessez-le-feu et une paix juste , contre la violence coloniale et l’apartheid ». Sur cette affiche, la seule violence mise en avant était la violence israélienne. L’appel à manifester commençait par une phrase générale sur le caractère injustifiable de toute violence contre les civils pour enchaîner immédiatement par « pour autant ». Le reste du communiqué critiquait l’Etat d’Israël, la politique de l’Union européenne et des Etats-Unis. Il ne mentionnait nulle part le Hamas. A la manifestation suivante[2] (le 21 octobre), le représentant de l’UPJB a été empêché  par des manifestants hostiles de faire son intervention qui contenait -enfin- une dénonciation des crimes du Hamas[3].

Je n’aborderai pas ici l’ensemble du positionnement de l’UPJB dans le conflit Israël-Palestine qui fait l’objet d’un débat interne plusieurs mois. Ce débat indique qu’il existe à la fois des points de convergence sur des principes essentiels (notamment, la nécessité de défendre des droits égaux pour les deux nations qui vivent sur le territoire d’Israël-Palestine, la condamnation de la colonisation illégale en Cisjordanie, l’application des résolutions des Nations Unies concernant le retour des réfugiés, etc…) et de multiples divergences. Au début de cette année, il a été décidé de poursuivre le débat après la non-adoption d’une plateforme sur laquelle les positions divergeaient considérablement. Il va de soi que ce débat prendra du temps et que nous devons continuer à intervenir sans attendre l’adoption d’une position politique globale sur toutes les questions soulevées par le conflit.

Le souci de nombreux membres est que l’UPJB tienne compte de la pluralité de points de vue quand elle intervient politiquement sur cette question. Il y a entre nous suffisamment de points de convergence pour pouvoir construire des positions politiques à partir des événements. Le communiqué du 10 octobre exprimait de manière tranchée un seul des points de vue qui existent dans notre organisation.

Le communiqué ne contient pas un mot sur le déroulement concret de l’événement : les tirs de missiles et de drones aveugles contre des villes, les massacres systématiques de civils juifs (ainsi que de civils migrants comme des Népalais et des Thaïlandais ou encore de Palestiniens d’Israël considérés par le Hamas comme « contaminés » pour le seul fait de vivre aux côtés de Juifs), les familles brûlées vives dans leur pièce-abri, l’humiliation des otages qu’on promène comme des trophées humains dans les rues de Gaza. Les récits des survivants sont glaçants. En les lisant, je ne pouvais manquer de penser aux pogromes de Kichinev ou d’Odessa à l’époque tsariste. Avec cependant une différence importante. Il ne s’est pas agi de « débordements » d’une foule fanatisée. Il s’est agi d’une opération planifiée de manière systématique par la direction du Hamas, précédée par l’entraînement des miliciens et par l’accumulation de matériel militaire. L‘objectif principal de cette opération était de massacrer le plus grand nombre de Juifs dans les temps les plus courts. C’est ce qui explique un bilan beaucoup plus tragique que la plupart des pogromes où les morts se comptaient généralement par dizaines. Pour le communiqué de l’UPJB du 10 octobre, il suffit d’un court paragraphe initial qui qualifie l’événement de crimes de guerre qui « nous choquent et nous affectent profondément ». Rien n’est dit sur la direction et la planification des opérations dont le but principal était le massacre des civils. Le Hamas n’est même pas cité.

Après ce court paragraphe, vient l’adverbe « cependant » suivi par de longs développements où la singularité de l’événement disparaît. L’UPJB s’efforce de convaincre qu’elle a toujours eu raison et les paragraphes suivants répètent un certain nombre de ses positions. Ce communiqué aurait parfaitement pu être écrit six mois avant les massacres et rangé dans un tiroir pour être publié « au cas où… ».  Il suffisait d’utiliser l’événement comme une « accroche » pour ensuite appuyer sur le bouton « replay ». Témoignage de cette écriture quasi automatique : le deuxième paragraphe réaffirme la légitimité de la lutte armée contre l’occupation. Comme si c’était de cela qu’il agissait… Je crois qu’aujourd’hui, la lutte armée n’offre pas la moindre perspective de libération au peuple palestinien[4]. Il ne s’agit pas d’un jugement pacifiste ou moral contre toute forme de résistance armée mais d’une évaluation politique concernant les rapports de force.

La réaction de l’UPJB soulève le problème de ce qu’est une organisation politique de gauche. S’agit-il d’une société propagandiste qui estime détenir la vérité et utilise les événements pour rappeler ce qu’elle sait depuis toujours ? S’agit-il d’un collectif qui part de la réalité des événements, qui les réfléchit à partir de nos expériences et de nos valeurs communes et qui intervient sur cette base quitte à faire évoluer ses certitudes en fonction de l’évolution du monde réel ? Faire de la politique, c’est procéder à l’analyse concrète d’une situation concrète et ne pas marteler quelques principes invariants en croyant aux vertus pédagogiques de la répétition.

Dans sa structure, ce communiqué du 10 octobre est construit comme la position d’un certain nombre d’organisations de la gauche belge par rapport à l’invasion de l’Ukraine. Une phrase pour dire qu’on condamne l’invasion russe comme contraire au droit international, suivie par un « cependant » ouvrant les vannes à une « contextualisation » du conflit de manière à le présenter comme le prolongement d’une agression de l’OTAN contre la Russie.

L’absence de toute condamnation du Hamas[5] est évidemment l’élément le plus choquant du communiqué de l’UPJB. Rien ne justifie les crimes de cette organisation qui cherche délibérément un bain de sang dont seront victimes les populations civiles. La réalité de l’oppression du peuple palestinien ne justifie ni la stratégie des dirigeants du Hamas, ni les atrocités perpétrées par ses miliciens. Pour moi, condamner le Hamas, ce n’est pas mettre sur le même plan l’opprimé et l’oppresseur, c’est condamner un des oppresseurs du peuple palestinien. A bien des égards, le proto-Etat construit par le Hamas à Gaza évoque le régime dictatorial iranien.

Les massacres du 7 et 8 octobre reflètent le but stratégique du Hamas mieux que n’importe quelle charte: construire un Etat islamique sur le territoire de l’ensemble de la Palestine historique et éradiquer la nation juive israélienne. Mais le Hamas n’a pas commis ces crimes uniquement pour propager son objectif à long terme. Au-delà de ce qui est évident (éviter toute forme de dialogue entre Juifs et Palestiniens, renforcer Netanyahou et l’extrême-droite comme « le meilleur ennemi possible »), il y a vraisemblablement des objectifs politiques liés à la conquête d’une hégémonie sur les masses palestiniennes en Cisjordanie[6].  Même si l’on devait écarter toute considération morale, l’attaque du Hamas a consolidé l’Etat d’Israël et l’influence des pires courants d’extrême-droite en son sein.  Les voix critiques en Israël sont devenues plus rares ou plus discrètes. En Palestine même, très rares sont les personnes ou organisations qui ont condamné la violence pogromiste du Hamas. De là, à mon avis, une importance accrue pour les diasporas tant palestiniennes que juives qui, avec un minimum de recul, ont la responsabilité de ne pas s’enfermer dans les empathies à sens unique[7].

Le message du communique de l’UPJB est renforcé par la mise en exergue de deux vers de Brecht.  « Le fleuve emportant tout, on dit qu’il est violent. Mais nul ne taxe de violence les rives qui l’enserrent. ». C’est une manière de dire : imbéciles qui regardez le doigt des massacres, l’UPJB va  vous montrer la lune de l’occupation. Qui incriminerait un fleuve en crue ? Toute responsabilité politique et morale disparaît. Les pogroms d’octobre sont considérés comme une réponse naturelle, inévitable à la violence que représente l’occupation.

Cette position est partagée avec une partie importante du camp décolonial[8] qui considère que tout crime commis au nom des masses opprimées n’est que le simple reflet de leur déshumanisation par les oppresseurs. Comme si la domination était un rapport qui nous prive de toute conscience humaine au niveau individuel et de toute capacité d’intervenir de manière autonome sur des processus politiques au niveau collectif. Il y a un mélange de paternalisme et de culpabilité (retournée contre d’autres) dans cette position. En plus d’une inversion des responsabilités, cette position suppose que les masses opprimées constituent un tout amorphe et que leur seule intervention sur la scène de l’histoire se réduirait à des groupes d’avant-garde qui parlent en leur nom et leur confisquent la parole[9]. Entre les violences multiples de l’occupation et les meurtres du Hamas, il n’y a pas de causalité directe. La même occupation peut déboucher sur des réponses totalement différentes. L’UPJB est bien placée pour le savoir : la résistance armée pendant la deuxième guerre mondiale n’a jamais débouché sur des massacres collectifs de civils innocents[10]. En Palestine, le Hamas a grandi en assassinant et en torturant d’autres militants défendant d’autres programmes. Sous la même occupation, on peut devenir un Izzeldine Abuelaish[11], un Juliano Mer-Khamis[12] ou un tueur du Hamas. Ce qui explique ces trajectoires différentes, ce n’est pas l’occupation en tant que telle, c’est la dynamique politique interne de la société palestinienne où s’affrontent différents courants.

Si nous voulons saisir la dimension politique de l’événement, nous devons, à mon avis, partir de l’expérience, du réel et pas de nos certitudes. C’est ce que mettent en avant des militants latino-américains dans un texte bref et essentiel intitulé « le terrorisme est toujours réactionnaire ». Je vous invite à le lire.

En restant dans les limites d’une opinion brève, je dirais que les pogroms du 7 octobre soulèvent des questions importantes pour l’UPJB. Je n’en mentionnerai que quelques unes :

  1. La nature du Hamas. S’agit-il d’une force réactionnaire mais qui appartient malgré tout au camp de la résistance palestinienne ou s’agit-il d’un obstacle, d’un ennemi à détruire pour libérer la Palestine ? Jusqu’à présent, l’UPJB a été presque muette sur l’oppression de la population gazaouie par le Hamas. Cette population souffre d’un double joug : le blocus israélien (plus précisément israélo-égyptien) avec de fréquentes campagnes militaires punitives[13] qui frappent la population civile et la domination sans partage du Hamas depuis 16 ans. Par les contacts personnels que nous avons, par la lecture de multiples rapports d’organisations comme Amnesty International, nous sommes informés de l’oppression impitoyable des femmes, du statut de paria des personnes LGBT, de la censure, de la corruption, de la torture et d’un système de justice expéditive entièrement contrôlé par les forces de sécurité du Hamas, de l’immense misère des classes populaires et de la distance entre leurs conditions de vie et celles des dominants liés au Hamas. Je pense que dans les circonstances dramatiques d’aujourd’hui, la solidarité avec la population gazaouie (et l’ensemble de la population palestinienne) est inséparable d’une démarcation complète à l’égard du Hamas et des forces politiques qui, en Europe, refusent cette démarcation. Cela dit, on ne peut nier l’incontestable popularité actuelle du Hamas. Toutes les comparaisons historiques sont déficientes parce qu’elles risquent de gommer des différences essentielles. Elles ont tout au plus une valeur métaphorique. Je mentionnerai l’opinion d’une camarade ukrainienne qui m’a semblé pertinente. Elle trace un parallèle entre le Hamas et l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) dans les années quarante et cinquante. Cette organisation avait un appui massif incontestable en Ukraine occidentale. Elle a pu se développer dans le contexte d’une oppression réelle des populations ukrainiennes tant par l’Etat polonais à l’Ouest que par le régime stalinien à l’Est. Son projet de construction d’un Etat-nation sur des bases ethniques et autoritaires directement inspirées par le fascisme a rendu possible sa participation à l’extermination des Juifs et à des massacres massifs de paysans-colons polonais.
  2. La question des dialogues judéo-arabe/israélo-palestinien. Même dans les moments les plus difficiles, ce dialogue reste possible s’il est pas conditionné par des ultimatums où les uns exigent des autres qu’ils se rallient préalablement à leur programme. Depuis le 7 octobre, en dépit des unions sacrées, des voix critiques continuent à s’exprimer en Israël-Palestine. Pour me limiter à quelques exemples, je peux citer Elias Sanbar, Dror Mishani, le collectif de journalistes israélo-palestiniens de la revue +972, l’ancien président de la Knesset Avraham Bug, etc… L’UPJB peut jouer un rôle dans la promotion de ce dialogue, dans la lutte contre les tentatives de boycotter la culture « de l’autre » (comme on l’a vu avec l’annulation de la remise d’un prix littéraire à Adania Shibli à Francfort). En particulier, l’UPJB devrait faire écho et soutenir l’initiative bruxelloise « Solidarité Judéo-Arabe » qui ne prend pas parti sur les questions politiques de fond mais intervient de manière indispensable sur les conditions d’un débat démocratique, sur la revendication de nombreux jeunes de ne pas avoir à s’aligner inconditionnellement sur un camp ou l’autre, sur le droit de critiquer sans être accusé de trahir, etc…Cette initiative représente une des rares lueurs d’espoir dans la situation actuelle.
  3. La question de l’antisémitisme. L’UPJB a dû se résoudre à annuler les journées kletzmer de Saint-Gilles en raison de risques d’agression ou d’attentat, deux synagogues situées dans des quartiers populaires (rue de la Clinique et Stalingrad) sont fermées depuis trois semaines à cause des mêmes risques. Aucun autre conflit dans le monde n’aboutit à ce genre de situation. De nombreuses communautés entretenant des liens directs ou indirects avec une des nations affectées par des conflits maintiennent une vie normale, sans risque pour leur sécurité. Il y a à Bruxelles d’importantes communautés turques et kurdes. A l’exception d’incidents épisodiques et isolés, la vie normale, culturelle, associative ou religieuse de ces communautés n’a pas été mise en danger par le conflit au Kurdistan. Après l’attentat contre le Musée Juif de Bruxelles, nous sommes bien placés pour savoir que les risques contre la population juive ne relèvent pas d’une paranoïa sécuritaire. Ils sont réels. De même, il faut combattre la pression raciste contre la communauté musulmane fréquemment enjointe à prendre position sur le Proche-Orient comme préalable à toute expression publique. On ne peut pas exclure que, dans certains pays d’Europe, l’extrême-droite raciste ne se déchaîne sous prétexte de témoigner d’une prétendue solidarité avec les Juifs[14].
  4. La réaffirmation de la nécessité d’une paix basée sur la justice et l’égalité entre les deux nations qui vivent aujourd’hui sur le territoire de la Palestine historique. Des deux côtés, on assiste à un durcissement des positions. La droite et l’extrême-droite israéliennes remettent en cause l’existence même d’une nation palestinienne et évoquent sans grande réserve la perspective d’une nouvelle Nakba. Les colons en Cisjordanie multiplient les agressions sous la protection de l’armée. Comme l’attention est tournée vers Gaza, ils ont intensifié leurs attaques destinées à chasser les Bédouins vivant à proximité des colonies. Dans les mobilisations de solidarité avec Gaza, de nombreux participants clament la nécessité d’une libération de la Palestine « de la Méditerranée au Jourdain ». Une organisation comme Samidoun[15] semble prête à briser tout cadre unitaire plutôt que de renoncer à cette exigence. Une partie de la gauche radicale européenne se livre à de la surenchère sur cette question et étend la qualification de colonie à l’ensemble du territoire de la Palestine historique dont tous les habitants juifs seraient dès lors transformés en colons[16]. Elle entretient souvent une confusion sémantique entre la dimension coloniale dans l’histoire de la formation de la nation juive israélienne et la colonisation au sens de l’installation de colonies dans les territoires occupés depuis 1967.
  5. L’urgence d’un cessez-le-feu. Si l’on veut réellement l’obtenir, il faut tendre à une unité aussi large que possible sur la base du droit humanitaire le plus élémentaire. Mêler l’exigence d’un cessez-le-feu à d’autres revendications (qu’elles soient justifiées ou pas) ne peut que réduire les faibles chances d’obtenir ce résultat.

Les semaines et les mois qui viennent seront tragiques pour le peuple palestinien. Je pense que nous ne pourrons jouer un rôle réel, efficace dans la solidarité que si nous clarifions nos propres positions, que si nous discutons sans dogme de ce qu’est une organisation juive de gauche et de ce qu’elle peut faire concrètement aujourd’hui en Belgique par rapport au conflit du Proche-Orient. C’est dans ce but que j’ai écrit cette tribune, trop brève pour pouvoir couvrir l’ensemble des débats indispensables. Je la crois néanmoins utile. Ce n’est qu’en acceptant de s’interroger sur elle-même que l’UPJB pourra affronter la période dramatique qui s’annonce. Pour ce faire, nous devrons aussi accepter de discuter ensemble de nos positions, de nos doutes et de nos questions sans ignorer l’énorme part d’affectivité et d’émotion que ces débats politiques suscitent en nous.

 

Laurent Vogel

 

[1] Libération du 20 octobre.

[2] La plateforme de la deuxième manifestation était plus claire que celle de la première. Elle condamnait sans équivoque les crimes du Hamas et demandait que la Cour pénal internationale poursuivent tous les criminels de guerre.

[3] L’Association Belgo-Palestinienne (ABP) a ensuite écrit une lettre à l’UPJB le 24 octobre pour déplorer le fait qu’un des animateurs (non membre de l’ABP) ait pris la décision d’interrompre le discours en raison du risque d’incident créé par certains groupes radicaux.

[4] Sur ce point particulier, je partage l’opinion de Gilbert Achcar.

[5] Pour être exact, trois autres organisations ont participé au carnage : le Djihad Islamique, le FPLP et le FDLP. Ce dernier revendique d’avoir pris part aux attaques contre les kibboutzim de Kfar Aza, Be’Eri et Kissufim.

[6] Je ne crois pas que les considérations internationales aient joué un rôle déterminant. Le Hamas noue des alliances mais n’est pas un simple satellite de l’Iran. Le coût élevé de l’opération pour le Hamas est probablement excessif pour des préoccupations internationales comme la consolidation de la position de l’Iran et le coup porté à la normalisation des relations entre Israël et une partie des pays arabes. De même, le fait que cette attaque permet à la Russie de renforcer ses positions internationales est un effet plutôt qu’un objectif.

[7] Dans une interview publiée le 15 octobre, la rabbine Delphine Horvilleur dit ceci : « Autant je peux comprendre qu’au Proche-Orient des gens n’arrivent plus à le faire <préserver leur humanité>, parce que le niveau de haine et de rage y atteint son paroxysme, autant nous n’avons aucune excuse ici. Et je ressens de la colère vis-à-vis de ceux qui, depuis la France, ajoutent de la haine à la haine, qui sombrent dans une déshumanisation absolue de l’autre camp. Cette faille empathique majeure est, en fait, une faille morale terrible dont la répercussion sera de nous déshumaniser nous-mêmes. De nous enfermer un peu plus dans un entre-soi d’empathies sélectives, une impossible confiance en la parole de l’autre parce qu’il n’a pas su être là. Nous avons le devoir, à distance, d’être les ultimes gardiens d’humanité malgré la rage et la colère, dans la nécessité morale de dénoncer de façon absolument ferme ce qui vient de se produire. Aucune cause, aussi juste soit-elle, ne légitime ces crimes du Hamas. Aucune liberté ou émancipation ne peut se gagner sur cette ignominie ».

[8] On trouvera en vrac la plupart des arguments « décoloniaux » dans un texte d’Alain Brossat : « Les fatwas du grand juge blanc ». Leur vente au détail se retrouve sur d’innombrables posts des réseaux sociaux.

[9] On retrouve fréquemment la phrase de Mandela :  « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense. » . Cette phrase peut être lue comme une défense morale par rapport à des pacifistes. Elle est complètement fausse si l’on se penche sur l’histoire des révolutions, c’est-à-dire de ces moments de l’histoire où les masses opprimées décident du lieu et des formes du conflit face à des oppresseurs désemparés qui n’arrivent plus à gouverner. Il n’y aucun automatisme entre les formes de répression et les formes de résistance. La violence du tsarisme pouvait justifier d’innombrables formes de violence en tant que légitime défense, les partis marxistes rejetaient le terrorisme, non pas pour des raisons morales, mais parce qu’il se substituait à l’action de masse et qu’il délaissait l’organisation de celles-ci au profit d’un combat entre des héros et des tyrans.

[10] Parmi les ignominies qui ont circulé après le 7 octobre, il y a l’assimilation des massacres dans les villages et kibboutz avec le soulèvement du ghetto de Varsovie. Cette comparaison apparaît sur un site palestinien sous la plume de Haidar Eid , professeur de littérature postcoloniale dans une université de Gaza. Elle est reprise par Gilbert Achcar (publiée en France par le site « Contretemps »). En Belgique, on retrouve la même comparaison sous la plume de Luk Vervaet. Elle est implicite dans les très nombreuses dénonciations d’un « génocide » à Gaza. Au-delà de l’inflation verbale autour de ce concept (Ukrainiens et Russes se renvoient l’accusation de génocide dans la guerre actuelle, au Brésil, une partie des opposants qualifiaient Bolsonaro de génocidaire, etc…), dans le cas d’Israël, c’est l’assimilation au nazisme qui est recherchée. Quant au Hamas, s’il veut se débarrasser des Juifs, rien n’indique que cela prendrait la forme d’un génocide. Une « Nakba à l’envers » (quelques massacres suscitant le départ de la majorité de la population juive) pourrait être plus probable.

[11] Izzeldin Abeluaish est un médecin né dans un camp de réfugiés à Gaza. Ses trois filles et une nièce ont été assassinées par l’armée israélienne au cours de l’opération « Plomb durci » (2009) contre Gaza . Il est l’auteur du livre « Je ne haïrai point : Un médecin de Gaza sur les chemins de la paix ».

[12] Fondateur du Théâtre de la Liberté à Jénine, assassiné en 2011 par des Palestiniens qui s’opposaient à son travail culturel parmi les jeunes de Jénine. Les assassins n’ont jamais été poursuivis devant un tribunal de l’autorité palestinienne.

[13] Chaque offensive majeure (comme « Plomb durci » en 2008-2009 ou « Pilier de défense » en 2012) est présentée par l’armée israélienne comme la destruction définitive des infrastructures du Hamas et se solde par des bilans de quelques dizaines de morts israéliens (en majorité, des militaires) et de quelques milliers de morts palestiniens (principalement des civils).

[14] Le 24 octobre, le quotidien « Les Echos » commentait : « Au gré des crises, et y compris celle au Proche-Orient, le Rassemblement national continue de développer sa stratégie de normalisation. Le parti d’extrême-droite tente de reléguer aux oubliettes ses racines et les sorties antisémites de son fondateur, Jean-Marie Le Pen, en affichant un soutien inconditionnel à l’Etat israélien et à la communauté juive ».

[15] Voir son communiqué du 7 octobre.

[16] En France, le communiqué du NPA du 7 octobre utilise des guillemets entourant le mot israéliens pour désigner les villages et kibboutz attaqués. La seule phrase concernant les pogroms est la suivante : « certaines colonies autour de Gaza ont été acquises aux résistantEs ». C’est la première fois, à ma connaissance, que le mot « acquérir » prend la signification de massacrer. Quant à la formule résistantEs, elle sonne bizarre : je ne crois pas qu’une seule femme palestinienne ne soit apparue parmi les auteurs des pogroms. Par contre, elles sont déjà des milliers à avoir été tuées au cours des bombardements à Gaza. Plus que d’un changement de position de ce parti, il peut s’agir d’une simple posture identitaire. Il lui fallait, à tout prix, faire de la surenchère à l’égard de Mélenchon. Le même communiqué annonce virilement : « Le NPA ne se joint pas à la litanie des appels à la prétendue “désescalade”. La Gauche Anticapitaliste en Belgique qualifie également les localités israéliennes de « colonies ». Son communiqué du 9 octobre ne dit pas un seul mot sur ce qui s’est passé dans lesdites colonies. Il se limite à regretter que des images de ce qui s’est passé pourraient être instrumentalisées. Le problème n’est ni le crime, ni le criminel. C’est l’image du crime qui est gênante.